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Problématiques juridiques des nouvelles techniques de séquençage : retour sur l’interview de Emmanuelle Rial-Sebbag

Il y a quelques mois, nous vous faisions découvrir les images de notre entretien captivant avec Emmanuelle Rial-Sebbag, chercheuse en droit de la santé et bioéthique, sur les enjeux éthiques et juridiques de l’oncogénétique. Parce que quelques minutes sont bien trop courtes pour revenir sur des années de recherches, nous vous proposons ici de restituer plusieurs passages supplémentaires de l’interview intégrale.

Ces éléments complémentaires permettent de saisir la complexité juridique de la relation entre les patientes et leur médecin, et les questions éthiques et juridiques sous-jacentes que posent les nouvelles techniques de séquençage et le consentement à ces tests. L’acceptation de ces tests implique la possibilité de découvrir une quantité d’informations importantes sur le génome, qui ne font pas toutes partie de l’examen initial du dépistage d’un risque de cancer. Ces informations sont appelées « données incidentes ».

Dans ce contexte, il s’agit pour la patiente de consentir, avant même de faire le test, à informer les membres de sa famille en cas de résultats pouvant avoir un intérêt pour leur santé, ou de prévoir des dispositions pour que les personnes concernées puissent être prévenues. Si les lois de bioéthique ont été révisées pour aider professionnels et patients dans leur prise de décision éclairée, la communauté scientifique s’est positionnée sur le traitement de ces données, se distinguant d’autres communautés à l’échelle mondiale.

 

Avancées technologiques, pratiques professionnelles de santé et cadre juridique : les questionnements dans la pratique de soin

« Nous avons eu l’idée d’étudier les recommandations professionnelles et la manière dont c’était réceptionné, d’une part par les patients et les familles, mais aussi par les professionnels de santé. Et ça, c’est une force de ce projet, d’aller interviewer des professionnels sur le terrain, au moment où ils voyaient arriver ces nouvelles technologies, et où ils étaient confrontés à ‘’comment je fais pour utiliser les règles juridiques qui m’ont été imposées dans le cadre de ces nouvelles technologies ? Alors que j’ai moi-même des questions auxquelles la règle de droit ne répond pas’’.

On a vraiment exploré cet aspect avec des entretiens auprès des professionnels pour justement comprendre comment eux se positionnaient sur l’usage en routine de technologies très nouvelles. Est-ce qu’ils étaient à l’aise avec ça ? Est-ce qu’ils n’imaginaient pas avoir de difficultés purement professionnelles et techniques pour cet usage ? Et aussi, comment ils réceptionnaient ces nouvelles règles ? Comment ils allaient adapter le recueil du consentement et la délivrance de l’information ?

Les nouvelles technologies fournissent des informations massives, le risque d’avoir des informations incidentes est démultiplié. Ils n’avaient pas de solution avant l’arrivée de ces nouvelles technologies et là, ils n’en avaient toujours pas. Donc, ils avaient la préoccupation d’être juridiquement dans les clous ? De ne pas engager sa responsabilité, en utilisant ces nouvelles technologies au moment de l’information du patient ? A quel moment faire cette information ? Quel impact pour la famille ? Donc, il y avait vraiment tout un tas de questions qui se posaient en pratique, sur la mise en œuvre du cadre juridique et de son respect. »

Une information incidente (ou donnée incidente) en génétique correspond à la découverte fortuite d’une altération de l’ADN impliquée dans une maladie génétique différente de la maladie pour laquelle l’analyse a été prescrite. Ces informations peuvent avoir une importance médicale pour le patient et les membres de sa famille, car le diagnostic de cette maladie génétique pourrait permettre une prise en charge par des mesures de prévention ou de traitement, mais ne sont pas la raison pour laquelle le patient est venu consulter.

>> Pour aller plus loin dans la compréhension de cette notion, vous pouvez vous rendre ici << 

 

Le consentement dans le cadre des tests en oncogénétique : un encadrement juridique rigoureux

« En médecine un consentement est généralement donné de manière orale. Sauf quand la loi le précise, et qu’il doit être donné de manière différente. Le domaine de la génétique dispose d’un encadrement qui est très rigoureux. C’est l’une des seules pratiques, avec l’imagerie maintenant, pour laquelle on a un cadre juridique qui va expliquer au professionnel comment il doit prendre en charge le patient, du moment où il va le recevoir en première consultation, au moment où il va même prescrire et qui impose que le consentement soit recueilli par écrit.

La loi énonce dans quelles conditions on peut prescrire un test génétique : Comment on va rendre les résultats ? Comment l’information va être donnée ? Quel est le niveau de consentement qui est exigé ? Donc, on a un régime qui est complètement renforcé pour la génétique, et c’est ce qui transparait notamment dans les lois de bioéthique, puisque c’est là que se trouve le cadre général de la réalisation des tests génétiques. Une grande partie des questions qu’on avait dans le cadre du projet de recherche et dans les résultats que nous avons rendu ont été adressées dans la révision de la nouvelle loi de bioéthique, qui a été adoptée en août 2021. »

 

L’information au patient, un préalable au consentement éclairé 

« Alors parmi les droits des patients, je pense qu’on évoque très régulièrement le consentement. A mon sens ce qui est encore plus important que le consentement qui va être l’objectif, c’est vraiment ce qui va se passer avant et pendant la réalisation du test génétique, c’est-à-dire toute la partie information.

Le problème que vont rencontrer les professionnels sur l’information, c’est qu’ils vont devoir allier plusieurs obligations. Notamment, une obligation purement juridique. Quand on regarde le code de la santé publique et qu’on fait un test génétique, le code de la santé publique liste un certain nombre d’éléments, qui doivent obligatoirement être adressés par le professionnel de santé et résumés dans un document écrit. Il faut dire pourquoi on fait ce test génétique ? Quels en sont les risques ? Quels en sont les bénéfices ? Est-ce qu’il y a des alternatives ? Il y a tout un tas de critères qui est le minimum exigé du professionnel de santé.

Puis, l’objectif, ça va être de communiquer une information qui est adaptée à la personne que l’on a en face de soi. Il va falloir que le professionnel s’adapte, et communique une information compréhensible pour que la patiente puisse donner un consentement éclairé. Il faut également avoir une forme de transparence, dire la vérité, dans le cadre de cette information. Cette étape de l’information est une étape qui est clé. »

 

>> Pour plus de détail sur le déroulement des consultations avec le médecin généticien et le conseiller génétique, vous pouvez vous rendre ici <<

 

Consentir pour soi, consentir pour sa famille

« Au moment où le professionnel va prescrire le test, avant la prescription du test, […] il va devoir également l’informer [la patiente] que si jamais un résultat positif avec telle et telle caractéristique est retrouvé, et bien la patiente devra informer les membres de sa famille concernés. À un moment donné donc, le généticien ou le conseiller en génétique va entrer dans la boucle, pour pouvoir justement expliquer quels sont les membres de la famille concernés et comment va se faire cette information. Donc là, le professionnel de santé qui va prescrire le test, doit donner une information suffisamment complète sur les enjeux de cette information à la parentèle[1]. A ce moment-là, on n’a toujours pas fait le test. Et le médecin doit expliquer que si la personne ne veut pas informer sa famille, lui peut le faire, dans des conditions qui sont strictement prévues là aussi dans la loi, et ce, depuis 2011.

On voit bien que la question de l’information à la parentèle, elle se catapulte avec la question de l’information de la personne elle-même. A un moment, qui est extrêmement stressant pour la patiente, puisqu’on va lui prescrire un test génétique, donc il n’y a même pas de résultat, on n’en sait rien. Donc, il faut que la patiente soit en capacité d’incorporer ces deux informations, et qu’elle ait envie aussi de le dire aux membres de la famille. Sauf que, il n’y a pas de question qu’elle ait envie ou pas, c’est une obligation pour elle. Et si jamais elle ne le fait pas, et bien il faut qu’elle permette au professionnel de santé, selon une procédure encore une fois bien établie, de le faire à sa place, de manière complètement anonyme ».

 

Une différence éthique de taille : entre savoir le faire et permettre de le faire

« Notre idée c’était de dire ‘’on rend des informations incidentes, que si on a la capacité d’actionner quelque chose derrière’’. C’est-à-dire uniquement si l’on peut faire quelque chose, autrement ça ne sert à rien. […] On a essayé de formuler quelques propositions, et sur la scène internationale, il y avait des positions divergentes donc on a vraiment défendu quelque chose où on pensait mettre au cœur l’intérêt des patients et des patientes dans le cas présent. De ne pas donner non plus des informations qui ne servaient à rien, en disant ‘’bon, ben voilà, ici il y a quelque chose qui ne va pas sur votre génome, mais on n’est pas capable de l’expliquer’’. Finalement, ça sert à quoi de rendre cette information ?

Il y avait une autre question qui se posait techniquement, qui était de dire, aujourd’hui on a la possibilité quand on fait du panel de gènes d’aller regarder d’autres panels, de manière plus systématique et volontaire. Parce qu’on sait que si on regarde ça, on est en capacité potentiellement de trouver des choses. Mais, sans que ça soit en lien avec la demande initiale, donc il y avait des sociétés savantes qui disaient ‘’il faut faire cette recherche de manière systématique’’, c’était la position américaine. La position européenne était de dire ‘’nous, on ne veut pas faire ça, on préfère que ça soit ciblé sur le panel de gènes de l’indication concernée, et pas commencer à aller tout regarder juste pour tout regarder parce qu’on sait le faire’’. Il y avait des divergences de positionnement très fortes à ce moment-là sur la scène internationale.

Pour les informations incidentes, on avait beaucoup de discussions parmi les juristes sur une vision très stricte ‘’ça ne fait pas partie des informations recherchées initialement, donc on ne doit pas les rendre, du tout’’, et puis des juristes, plutôt au mouvement duquel j’ai adhéré, qui était de dire ‘’l’esprit de la loi c’est de dire qu’une information, à partir du moment où elle a un intérêt pour la santé, il faut la rendre’’, donc à ce moment-là, les informations incidentes, si on peut faire quelque chose, on doit les rendre. Depuis la loi de bioéthique de 2021, cette problématique est juridiquement résolue puisque la loi organise désormais le rendu de ses informations incidentes avec le consentement préalable de la patiente, et si des mesures de prévention ou de soins peuvent être mises en place. Toutefois, les professionnels se questionnent sur les modalités de mise en œuvre de ces dispositions et le sujet continue d’être débattu ».

Comme nous l’explique Emmanuelle Rial-Sebbag, les techniques et les savoirs dans le domaine des cancers à caractère héréditaire et l’oncogénétique évoluent régulièrement. Le droit doit s’adapter à ces changements, pour apporter et ajuster le cadre juridique aux pratiques des professionnels, en accord avec les intérêts des patients.

[1] Ensemble des personnes qui ont un lien de parenté entre elles.

 

 

 

 

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