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Dominique Stoppa-Lyonnet : « Je prône une oncogénétique raisonnée »

L’étude des prédispositions aux cancers a connu un fort développement au cours des 30 dernières années. Rencontrée à l’occasion du lancement du site OncoGenetique.fr, le 22 mars 2019, la professeure Dominique Stoppa-Lyonnet, responsable du service de génétique de l’Institut-Curie et universitaire à Paris-Descartes, confirme l’intérêt majeur des tests de prédisposition, à condition d’avancer progressivement avant d’envisager toute généralisation.

Dominique Stoppa-Lyonnet-Oncogénétique-Fonds Avenir Masfip

Qu’est-ce que l’oncogénétique ?

Pre Dominique Stoppa-Lyonnet – L’oncogénétique, c’est l’étude des prédispositions génétiques au cancer. C’est une discipline jeune, bien qu’elle ait fêté ses 30 ans. Comme l’ensemble de la génétique médicale, elle a pu se développer grâce aux outils du génie génétique et à la participation des familles concernées.

C’est à partir de la moitié des années 1980 que l’on a identifié les premiers gènes de prédisposition au cancer. C’est le cas, en 1986, de RB1, gène dont les altérations sont associées à un risque élevé de rétinoblastome. Sur les 15.000 à 20.000 enfants touchés chaque année par cette tumeur maligne de la rétine, la moitié sont porteurs d’une altération constitutionnelle du gène RB1. En faisant le lien entre l’altération de certains gènes et le risque de certains cancers, l’oncogénétique est finalement l’archétype de la médecine prédictive.

 

Avoir une prédisposition au cancer, qu’est-ce que cela signifie ?

D. S-L. – En oncogénétique, on parle de prédisposition associée à des risques élevés, face à des facteurs génétiques, que l’on appelle mendéliens, avec une transmission le plus souvent d’un des deux parents à un enfant.

La part des facteurs de prédisposition dans la survenue de certains types de cancers est variable, parfois élevée. C’est le cas du cancer du sein : 5% des cas ont une origine génétique. Pour les cancers de l’ovaire, cette proportion s’élève à 10%, et même 15% dans les cas de cancers de haut grade. Quant aux rétinoblastomes, 50% sont d’origine génétique.

La transmission de ces facteurs de prédisposition mène souvent à une histoire familiale de cancers. La difficulté est que, à l’inverse, il peut y avoir des femmes prédisposées au cancer du sein alors qu’elles n’ont aucune histoire familiale. Il s’agit le plus souvent de transmissions paternelles.

Ainsi, une mutation des gènes BRCA1 et BRCA2 entraîne un risque élevé de cancers du sein ou de l’ovaire à un âge jeune. Dans ce cas, le risque de cancer du sein à l’âge de 70 ans est de l’ordre de 70%, alors qu’il est de 9% dans la population générale. Le risque de cancer de l’ovaire est de 40%, contre 1% dans la population générale.

Parallèlement aux facteurs de prédisposition, nous nous intéressons aussi à ce que l’on appelle des facteurs de susceptibilité. Ce sont des variants, fréquents dans la population, qui augmentent très faiblement le risque. Mais, combinés, ils peuvent être parlants et donner un score de risque polygénique (PRS).

 

Comment sont décelées ces prédispositions ?

D. S-L. – C’est tout l’objet des consultations d’oncogénétique, dont le nombre croît de 8% par an. En 2017, 78.000 consultations se sont déroulées sur 148 sites et se sont appuyées sur 26 laboratoires. Elles ont donné lieu à 30.000 premières analyses familiales et 11.000 tests ciblés sur une altération identifiée chez des apparentés.

Au cours de ces trente dernières années, nous avons vu apparaître des outils formidables. Je veux parler notamment du séquençage complet du génome humain en 2003. Mais aussi des puces à ADN, qui permettent d’inscrire 200.000 marqueurs distribués sur l’ensemble du génome, afin de les hybrider avec l’ADN d’une personne et d’en analyser les signaux.

Aujourd’hui, se joue une nouvelle révolution technologique avec le séquençage haut débit, le Next Generation Sequencing, (NGS), qui démultiplie nos capacités de tests.

 

Face à ces progrès, faut-il étendre les tests génétiques à toute la population ?

D. S-L. – Certains estiment en effet qu’il serait “coût-efficace” de pratiquer des tests de prédisposition BRCA, c’est-à-dire relatifs au cancer du sein, chez toutes les femmes dans la population générale.

Je pense qu’il faut être très prudent. Il y a en effet un risque de fuite en avant. Par exemple, celui de se retrouver avec des informations dont on ne va plus savoir que faire, et qui seront plus anxiogènes qu’utiles sur le plan médical. Par exemple la gestion de variants de signification inconnue, ou le séquençage de gènes dont les risques associés à leur altération ne sont pas démontrés. Ces difficultés pourraient conduire à proposer des chirurgies préventives qui ne seraient pas justifiées.

Je suis partisane d’une oncogénétique raisonnée, qui va de l’avant, mais à partir de données dont l’utilité clinique a été démontrée.

Quand on aura une vision d’ensemble de tous les facteurs de risque génétiques du cancer du sein, qu’il s’agisse de gènes de prédisposition ou de facteurs modificateurs, et si l’on montre que, lorsque le risque individuel est très élevé, il y a un bénéfice à faire une chirurgie des ovaires, ou une surveillance par IRM-mammographie-échographique dès l’âge de 30 ans, voire avant, alors oui, on pourra envisager généraliser.

 

Dans l’attente, il vaudrait donc mieux concentrer les efforts sur un dépistage personnalisé ?

D. S-L. – Oui, je le pense. Mais, là aussi, en y allant pas à pas. C’est d’ailleurs l’objectif d’une très belle étude en cours, baptisée MyPeBS, pour Personalising Breast Screening. C’est un essai européen coordonné par la Dre Suzette Delaloge, cheffe du service de pathologie mammaire de Gustave-Roussy, qui a vocation à aller vers un dépistage personnalisé des cancers du sein et à sortir du “50 ans = mammographie tous les deux ans”.

Concrètement, pour certaines femmes, il faudrait plutôt commencer la surveillance entre 40 et 50 ans, parfois avant, et pour d’autres, un contrôle tous les trois à quatre ans suffirait. Dans cette étude, l’examen combiné de plusieurs facteurs doit conduire à un risque individuel, également obtenu en tenant compte de l’âge de la patiente, de son nombre d’enfants ou de la densité mammaire.

Dans tous les cas, ces tests ne sont pas à prendre à la légère. Voilà pourquoi, avant de penser à un élargissement des indications, il faut s’assurer de disposer de tests de qualité et les pratiquer sur des personnes informées et accompagnées.

 

Propos recueillis par Sabine DREYFUS
© Agence fédérale d’information mutualiste (Afim)

Source : Mutualité Française

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